Les clichés et autres dictons populaires perdurent parce qu'ils semblent constituer des vérités universelles. Mais ils sont à double tranchant. Leur utilité ou leur nocivité dépendent entièrement du moment et du contexte.
L'adage « Arrêtez de vous soucier de ce que les autres pensent de vous » illustre parfaitement comment un dicton bien intentionné peut parfois faire plus de mal que de bien, en particulier pour les personnes souffrant d'anxiété sociale.
L'anxiété est un état mental et physique d'anticipation négatif. Sur le plan mental, elle se caractérise par une appréhension accrue qui se transforme en angoisse. Sur le plan physique, elle se manifeste par l'activation désagréable de symptômes liés à la peur, le tout pour faciliter la réaction à un danger, qu'il soit réel ou imaginaire.
Examinons les choses en détail. Le trouble d'anxiété sociale, également appelé « phobie sociale », ne se limite pas à la timidité, à l'introversion ou à la nervosité lors de rencontres. Il s'agit d'une peur plus profonde et d'une préoccupation constante de la façon dont les autres peuvent vous juger. Vous craignez qu'ils découvrent la pire version de vous, ou même qu'ils vous aient secrètement exclu. Lorsque vous souffrez d'anxiété sociale, votre esprit s'emballe et fonctionne à plein régime pour comprendre ce que les gens peuvent bien penser de vous.
Voici comment cela se passe :
- Vous êtes en permanence en train de résoudre des conflits mentaux. Si quelqu'un vous fait un compliment, mais que vous pensez en réalité qu'il fait semblant, votre cerveau se met à faire des nœuds pour essayer de comprendre ce qu'il voulait vraiment dire.
- Vous évitez toujours d'attirer l'attention. Pourquoi ? Parce que l'attention est un piège. Le raisonnement est le suivant : si je suis invisible, je suis en sécurité. Mais cette sécurité a un coût : vous vous isolez et vous perdez la possibilité de remettre en question ces hypothèses.
- Le perfectionnisme s'installe alors. Les personnes socialement anxieuses cherchent souvent à se « réparer » derrière des portes closes, pensant qu'elles peuvent se perfectionner avant de réapparaître dans le monde. Quelle est la croyance de cette personne ? Si je suis irréprochable, personne ne me critiquera.
Et puis, il y a le conseil : ne vous souciez plus de ce que les autres pensent ! Bien sûr, à première vue, cette idée est séduisante : se libérer du jugement et être libre. Mais pour une personne socialement anxieuse, ce conseil se retourne complètement contre elle.
Le message est souvent déformé pour devenir quelque chose de beaucoup plus insidieux : « Les gens ont déjà une mauvaise opinion de vous, et c'est très bien ainsi. » Vous vous faites alors l'idée fâcheuse que les commentaires positifs des autres sont faux, que vous êtes enfermé dans votre propre monde, censé vous apporter une valeur inébranlable et autonome.
Mais ne nous voilons pas la face : si vous êtes socialement anxieux, ce n'est pas parce que vous n'avez pas de normes et d'attentes envers vous-même. En réalité, vous avez déjà des attentes et des normes qui sont excessivement élevées et conçues pour être impossibles à respecter. Le problème ne vient pas du fait que vous vous souciez trop de l'opinion des autres, mais plutôt que vos croyances dévalorisantes prennent le pas sur la réalité.
Nous sommes ce que nous prétendons être, alors nous devons faire attention à ce que nous prétendons être. - Kurt Vonnegut
Notre identité est négociée
Les gens ont une idée assez précise de la façon dont les autres perçoivent leur personnalité (par exemple, leur sociabilité, leur intelligence et leur compétence) et de leur popularité. Toutefois, cette précision reflète principalement le fait que nous projetons nos propres théories sur les autres, et non pas que nous sommes capables de lire ce que les autres pensent réellement de nous.
Au lieu de prétendre que vous ne vous souciez pas de ce que les autres pensent, essayez ceci : intéressez-vous davantage à leurs opinions véritables. Nous racontons souvent des histoires qui ne sont pas vraies. Notre dialogue intérieur, que j'aime appeler « le saboteur intérieur », crée une version biaisée, dure et tout à fait inexacte de ce que pensent les autres.
Pourquoi l'opinion des autres est-elle importante ? Parce que les êtres humains sont des miroirs. L'identité n'est pas un ensemble de facteurs prédéterminés, ce n'est pas la même chose que la personnalité. Notre identité est constamment négociée. Nous avons besoin des autres pour voir les aspects de nous-mêmes qui nous sont invisibles.
La façon dont nous traitons les autres est étroitement liée au récit intérieur que nous nous faisons de notre propre identité.
Voici le paradoxe : il est impossible de se connaître complètement. Il y a trop d'angles morts. Mais lorsque quelqu'un vous sourit, vous encourage ou même vous critique gentiment, il vous offre un reflet qui peut vous aider à comprendre qui vous êtes.
C'est le « moi en miroir » de Jacques Lacan, le célèbre psychanalyste français. Nous voyons notre reflet dans le regard des autres, c'est-à-dire la façon dont ils perçoivent notre personnalité, nos préférences et nos comportements, et nous adoptons souvent ce reflet - l'évaluation réfléchie - comme partie intégrante de notre concept de soi.
Cela signifie-t-il que les gens ont toujours raison ? Bien sûr que non. Le narratif intérieur que nous avons sur nous-mêmes est souvent erroné et déformé par la nature complexe de nos expériences, filtrées à travers le prisme de la mémoire, ainsi que par les commentaires de chacun, influencés par leurs propres préjugés et perspectives limitées.
Mais voici le secret : l'opinion qu'ils ont de vous est généralement beaucoup plus bienveillante et réaliste que l'avis cruel que vous portez à vous-même.
Mon expérience m'a appris que la plupart des personnes qui se sentent profondément mal aimées sont en fait très appréciées de leur entourage. Elles diront : « Je ne suis pas attirant, je suis ennuyeux, je ne vaux rien », alors que leurs amis ou leur famille les décriront comme drôles, compatissants ou talentueux. Qui a le plus de chances d'avoir raison : votre critique intérieur surmené ou les personnes qui vous connaissent depuis des années ?
Trouver l'équilibre : le juste milieu.
Cela ne signifie pas qu'il faille passer du dégoût de soi à un amour de soi sans critique du jour au lendemain. Pour beaucoup d'entre nous, ce saut semble impossible. Il s'agit plutôt de trouver un juste milieu. Vous n'avez pas besoin de vous adorer, mais vous pouvez commencer à croire que la vérité se situe quelque part entre les deux : "Je ne m'aime pas beaucoup. Les autres semblent m'aimer plus que moi".
Vivre dans cette tension peut sembler inconfortable, mais c'est bien plus sain — et bien plus proche de la vérité — que de basculer dans les extrêmes. La véritable liberté ne consiste pas à rejeter en bloc les opinions des autres, mais à apprendre à les considérer pour ce qu'elles sont : des pièces d'un puzzle plus vaste, souvent plus compatissant, de ce que vous êtes.
Voici votre premier pas : ouvrez-vous aux autres. Négocier son identité consiste à aller vers les autres en faisant preuve d'empathie et d'ouverture, sans rester paralysé par de fausses croyances sur nous-même. En vous concentrant sur l'effort nécessaire pour vous intéresser à votre interlocuteur, vous aurez moins tendance à vous laisser envahir par votre anxiété.
Croyez que votre communauté (amis, collègues, etc.) est plus compétente qu'il n'y paraît. Ils ne sont pas aussi cruels ou malhonnêtes qu'il y paraît. Ils ne sont peut-être pas toujours parfaitement exacts, mais ils vous offrent quelque chose d'inestimable : la preuve que vous êtes déjà assez, avec vos imperfections et que vous avez le pouvoir de changer l'image qu'on a de vous.
La psychothérapie analytique peut vous aider à comprendre le narratif qui a contribué à construire des croyances négatives sur vous-même, et vous donner des outils pour apprendre à négocier votre identité et prendre confiance en vous. Les changements profonds ne s'effectuent que par l'action.